RER A. Direction Rueil Malmaison. Bagages sous les bras, Sarah est assise sur une banquette juste à côté de moi. Dans la rame qui file à vive allure, l’atmosphère me fait un peu penser aux films d’horreur type série B : une lumière sombre avec ce néon qui ne cesse de grésiller, pas grand monde à l’horizon si ce n’est deux trois individus qui vous regardent fixement sans cligner des yeux, de la vieille ferraille qui fait un boucan d’enfer comme si le RER était à deux doigts de se disloquer…
C’est dans ce cadre on ne peut plus « rassurant » que je m’approche de Sarah pour lui proposer de l’interviewer.
Radieuse, elle m’accueille avec un large sourire. Avant de m’expliquer qu’elle n’est pas vraiment certaine de comprendre ma démarche.
Un petit moment d’hésitation, puis elle accepte de jouer le jeu, emportée par la curiosité. Et même si au cours de la conversation je vois bien dans son regard qu’elle est parfois perplexe, elle fait fi de ses interrogations et s’en amuse volontiers.
Sarah a tout juste 19 ans. La voix douce, elle m’apprend qu’elle se rend chez ses parents quelques jours. En fait elle est étudiante à Reims et a profité de sa semaine de vacances pour les voir en région parisienne.
De la Capitale, elle n’y connaît pas grand chose même si elle est née dans les Hauts-de Seine, à Colombes. En tout cas, elle trouve que Paris est très différent de Reims. « Là bas, il y a deux faces : le jour, très animé et accueillant, et la nuit avec ses quartiers et le centre ville qui craignent », explique t-elle.
Je ne sais pas exactement pourquoi elle a choisi cette ville plutôt qu’une autre mais elle ne l’a pas fait par hasard : elle y poursuit une école de commerce post-bac dans le but d’obtenir plus tard un mastère. Son objectif ? « Devenir trader ».
Trader ? Je me pose la question en tant que femme : est-ce que ça va marcher ? Est-ce que je vais pouvoir construire une vie de famille ?
Mon manque d’originalité me faisant parfois défaut, je lui fais remarquer que c’est surprenant : c’est un milieu très masculin qui plus est assez décrié en ces temps de défiance envers tout ce qui touche au pouvoir et à l’argent.
Elle me raconte simplement que son père était lui même trader. C’est lui qui lui a transmis « la passion ». Elle m’épargne les détails techniques mais en quelques mots, réussi à exprimer un enthousiasme contagieux en décrivant un univers que beaucoup – peut être à tord – trouvent cynique et sans humanité.
C’est d’autant plus intriguant quand on la regarde, toute frêle, douce et toujours souriante. Enfin, rappelons à juste titre qu’interviewer les inconnus dans la rue, c’est fait aussi pour dépasser les a priori et les clichés, hein.
Et puis Sarah m’explique tout bonnement que dans ce métier, elle a aussi la possibilité de voyager. Et ça, pour elle c’est le graal. D’ailleurs, dès que je l’ai vu, je me suis dit qu’elle avait un côté… international.
Je la voyais Méditéranéenne, italienne ou peut-être espagnole voir d’origine maghrébine. Elle s’en amuse en m’expliquant que ce n’est pas rare qu’on la prenne pour une algérienne.
La réalité ? Sa mère est française et son père indien. Un mélange des cultures qui l’a donné l’envie de parcourir sans cesse de nouveaux horizons.
A 19 ans à peine, elle a un carnet de voyage impressionnant : une année à la Réunion, une autre en Ile Maurice et 3 ans à Dubaï. Bien sûr, jusqu’à présent, elle n’avait fait que suivre ses parents, mais elle ne compte pas s’arrêter là. Vivre un jour à Singapour fait partie d’un de ses rêves. « J’y ai déjà été. C’est très propre, très carré, on se sent en sécurité par rapport à la Malaisie par exemple… », commente t-elle.
Alors Trader, le métier idéal pour voyager ? Sarah sait qu’elle a toujours ressenti ce « besoin de changement, de nouveauté ». Mais, elle avoue aussi que ce job n’est pas des plus simples pour une femme.
« C’est vrai, c’est très masculin, très prenant aussi. Je ne sais pas si je pourrais rentrer à 2h du matin chaque soir. Je me pose la question en tant que femme : est-ce que ça va marcher ? Est-ce que je vais pouvoir construire une vie de famille, faire la part des choses entre le professionnel et le privé ? »
Elle pose son regard un moment puis continue : « C’est plus facile pour un homme de se consacrer toute sa vie à son boulot. Il va falloir que je fasse un choix… »
Et si elle pouvait choisir le métier de ses rêves ? « Trader », assène-elle avec le sourire, sans en démordre.
J’insiste encore un peu.
Sourire un peu gêné puis elle avoue : « Mannequin… mais je n’ai jamais essayé ».
Pour finir, avant de prendre la photo, je lui demande comment elle se verrait en 2036 :
« Posée avec quelqu’un, à l’étranger. Mais pas en France ».
Merci Sarah.
Portraits ?
Inconnus rencontrés dans les rues de Paris, dans le métro ou le RER, ce sont les portraits d’anonymes qui ont, le temps d’une conversation, accepté de parler un peu d’eux. Parfois drôles, surprenants, toujours ouverts, bien souvent attachants, ils donnent un visage humain et chaleureux à une ville qu’on dit remplie d’indifférence.
Photo : sequence4.com
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