Rue Lamarck. Posé dans un coin, j’observe depuis un moment les allers et venues. Les usagers du métro arrivent et sortent de la bouche par vagues successives. Les passants longent la rue d’un pas rapide. Les gens ici sont d’ailleurs plutôt sympas. Je me prends plein de vents. Mais quand on décline mes propositions d’interview, c’est toujours avec le sourire.
Après un énième refus donc, j’aperçois au loin une jeune fille qui écrit, attablée sur la terrasse d’un café. Elle a l’air très concentrée, relève les yeux, scrute l’horizon, arbore un sourire de satisfaction puis replonge dans ses notes.
Je m’approche. Tout juste ai-je commencé à lui expliquer ma démarche qu’elle accepte, enthousiaste. Très vite la conversation s’anime : forcément, elle me raconte qu’elle-même prend des photos d’inconnus dans la rue. Et entre deux clichés, elle met sur papier ses inspirations au gré de ce qu’elle voit et entend au quotidien.
Millie a 22 ans. Je peine à orthographier son prénom. C’est anglophone me dit-elle. Puis de préciser qu’il fut une époque, c’était un surnom de Mildred. Oui parce que Millie est américaine. Du moins en partie, du côté de son père. A l’oreille ça ne s’entend absolument pas.
En fait, elle a grandi à San Francisco avant de passer ses années de Lycée à New-York. En 2012, elle s’installe en France, à Reims, pour deux années d’études à Sciences po. Son diplôme obtenu, elle est retournée sur ses terres natales, sur la côte-est américaine. Là, ça fait trois semaines qu’elle est en vacances dans l’hexagone.
Ce qu’elle voudrait plus que tout c’est vivre de son écriture.
Elle me parle alors de ses travaux et de son approche artistique avec un engouement communicatif. « J’adore discuter avec les gens. Mais parfois j’oublie qu’eux ne s’intéressent pas forcément ! ». Et de continuer : « J’ai tendance à voir la vie en rose ». Soit. Mais elle sait qu’au fond les gens aiment qu’on s’intéresse à eux, qu’on leur pose des questions.
Contrairement à moi, elle a une démarche plus instinctive. Elle prend des portraits à la va-vite, dans le métro, dans la rue, avec son téléphone, sans autorisation. D’ailleurs, souvent elle se contente d’écouter les conversations des gens. Une véritable source d’inspiration qui l’alimente au jour le jour.
Toujours pleine d’entrain, elle me fait lire ses notes : un cahier rempli de phrases et d’autres, de petits dessins ou tout simplement de bribes de paroles prises à la volée. A partir de là, elle raconte des histoires totalement fictives ou plus ou moins proches de la réalité.
Pourquoi une telle démarche ? « C’est un moyen d’exister dans le moment présent », avoue t-elle. Et de citer un de ses profs à New-York : « Tout portrait réussit dans sa spécificité ». Traduction : c’est à travers les moindres détails qu’on reconnait vraiment quelqu’un.
Des détails, elle en a emmagasiné un paquet. Sur ces deux derniers mois, elle a rempli pas moins de trois cahiers.
« Si je publie au bout de 15 ans et bien ça prendra le temps qu’il faudra »
Si aujourd’hui elle travaille en tant que freelance pour des boites de production, que ce soit pour des documentaires ou des séries, ce qu’elle voudrait plus que tout c’est vivre de son écriture, raconter des histoires, dessiner, prendre des photos… tout ceci « dans un mélange de poésie et d’images ».
Pas facile, facile lui fais-je remarquer. Pourtant elle est confiante. « Je sais que ça va se faire, sinon, je ne le ferais pas. Si je publie au bout de 15 ans et bien ça prendra le temps qu’il faudra ».
Avant de se quitter, elle m’explique qu’elle est encore en France pour une semaine et demi, le temps de voir des amis. « Des amis très engagés », précise t-elle. Soit dit-en passant, elle me raconte qu’en arrivant ici, elle trouvait l’ambiance « très glauque », envahie par les histoires de burkini qu’elle trouve « dégueulasse » ou encore « les arrestations de réfugiés ». Des sujets qui la révoltent au plus haut point…
Allez, pour finir (pour de bon cette fois), un auteur qu’elle porte dans son coeur : « Georges Perec », s’enthousiasme t-elle. Espèces d’espace est comme on dit, son livre de chevet : un amas de brouillons, d’écriture expérimentale, à l’image de ce qu’elle fait elle-même. C’est très instinctif et amène à toutes sortes d’interrogations : qu’est-ce qu’un lieu ? un espace ? un souvenir d’enfance ?
Et de finir sur un ton amusé : « Les questions existentielles, c’est moi tout craché ».
Merci Millie. Et bon retour à New-York.
Portraits ?
Inconnus rencontrés dans les rues de Paris, dans le métro ou le RER, ce sont les portraits d’anonymes qui ont, le temps d’une conversation, accepté de parler un peu d’eux. Parfois drôles, surprenants, toujours ouverts, bien souvent attachants, ils donnent un visage humain et chaleureux à une ville qu’on dit remplie d’indifférence.
Photo : sequence4.com
4 Commentaires
Enfin je le lis ! Et je suis plutôt enthousiasmée par ce portrait
Il m’est aussi arrivée de noter des choses entendues par hasard, elles ont quelque chose de spécial même si ce sont des phrases banales. Millie me fait un peu penser à un écureuil mais qui ramasse des pépites rares et précieuses. En tout cas c’est un beau projet !
toi aussi il va falloir que tu commences à écrire ton premier bouquin 😉
Bonjour, je rigole quand je te lis car je me retrouve dans beaucoup de tes situation, lorsque j’aborde les gens.
Prêt pour un café ou un verre pour échanger…
Sinon voir mon travail de portrait sur https://www.facebook.com/balder.art/
Déjà chapeau pour ton travail, je trouve tes portraits et ton style tout simplement excellents.
Et oui, je me suis beaucoup reconnu dans ta vidéo sur facebook : dans la manière d’aborder les gens, ce petit déclic qui ne s’explique pas qui fait qu’on se lance vers l’inconnu ^^
Au plaisir bien sûr d’échanger devant un café