Quand j’ai demandé à Elena ce qu’elle faisait, seule, posée à la terrasse d’un café situé dans ce coin fréquenté de l’arrière Montmartre, elle m’explique qu’elle venait tout juste de rentrer de vacances. Alors elle a décidé de « prendre encore quelques rayons de soleil » avant de retrouver le chemin du travail.
Jamais un ton plus haut que l’autre, la voix posée, elle est placide. C’est limite déconcertant. Mais ça a le don de capter tout de suite l’attention. N’empêche, elle ne laisse aucun doute sur son état d’esprit à cet instant : elle appréhende un peu (beaucoup) le retour au boulot.
« Ce que j’apprécie dans le Trek, c’est le goût de l’effort, grimper… C’est une forme de communion avec la nature quand le corps s’est donné »
Il faut dire qu’après dix jours passés en Géorgie, le retour doit être douloureux. Et la chaleur tropicale qui surplombe la France depuis quelques jours n’y changera pas grand chose. Là bas elle a pratiqué une activité qui lui apporte le plus grand bien : le trek. Ce que le commun des mortels appelle aussi la randonnée. C’est à Kazbegi, vers la Chapelle de la Ste Trinité qu’elle a eu l’occasion de « poser la tête dans les nuages » comme elle dit.
« Ce que j’apprécie dans le Trek, c’est le goût de l’effort, grimper… C’est une forme de communion avec la nature quand le corps s’est donné ». Et d’ajouter qu’une fois dedans, on oublie tout, les soucis et autres aléas de tous les jours.
Elena a 34 ans et avocate de profession. Son quotidien ? du conseil, un peu de plaidoierie, officiant dans le domaine du droit du travail.
Je l’imagine alors se battre corps et âmes pour défendre les intérêts de salariés malmenés par leur direction. Ben non. Elena est « pro-employeur ». Elle me dit ça toujours avec cet air un peu détaché.
Et si elle n’avait pas été avocate ? « Artiste »
Pro employeur ? « C’est un gagne-pain ». Je tique. Avocate, un gagne pain ?
« Avoir une clientèle employeur permet d’assurer un revenu. Les salariés c’est plus difficile. Mais c’est un travail stressant qui demande beaucoup d’investissement ». Elle continue en assurant qu’il n’y a pas non plus de vie en jeu. En revanche, de l’argent, oui. « Il faut minimiser les risques en permanence ».
Et si elle n’avait pas été avocate ? « Artiste », me glisse t-elle. En répondant à cette question, je me fais la réflexion que c’est la première fois depuis le début de notre conversation que je la vois sourire, mais vraiment, de bon coeur.
Plus jeune, elle pratiquait le violon. Aujourd’hui elle avoue que l’expression artistique lui manque. « Je travaille dans un milieu dur. Et le violon c’est une façon d’exprimer sa sensibilité ». Une sorte d’exutoire ? Peut-être.
Heureusement, Elena a la chance de vivre dans un quartier où elle se sent bien. Derrière la butte Montmartre, donc. « J’y ai beaucoup d’amis et l’ambiance y est authentique, un vrai esprit de village ». Après, elle n’exclut pas de quitter Paris, mais ce serait à l’étranger et aucune destination particulière pour le moment.
Au fil de la conversation, elle cite ici et là quelques films qui l’ont marqué, précisant que ça fait un bout de temps qu’elle n’est pas allée au cinéma. Elle évoque La loi du désir d’Almodovar avant de s’attarder longuement sur ce fameux The big short, avec Brad Pitt et Christian Bale. Elle ne manque d’éloge à son égard. « Un trio d’acteur géniaux », s’enthousiasme t-elle avant d’analyser de manière très convaincante ce qui l’a captivé.
« C’est l’un des rares films qui a su matérialiser la crise des subprimes. Ca explique toutes les mécanismes – les excès de la spéculation, ceux qui se sont enrichis à côté pendant que d’autres se sont appauvris et que de grandes sociétés se sont effondrées… »
Question toujours délicate mais qui inspire parfois les inconnus que j’interviewe : s’il y a quelque chose que vous auriez voulu changer dans votre vie ?
« Tellement de chose… Tout. »
Elle sourit.
Merci Elena
Portraits ?
Inconnus rencontrés dans les rues de Paris, dans le métro ou le RER, ce sont les portraits d’anonymes qui ont, le temps d’une conversation, accepté de parler un peu d’eux. Parfois drôles, surprenants, toujours ouverts, bien souvent attachants, ils donnent un visage humain et chaleureux à une ville qu’on dit remplie d’indifférence.
Photo : sequence4.com
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